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Je le vis à travers un voile qui s'étendait devant mes yeux comme un de ces rideaux de gaze qu'on utilise au fond d'une scène de théâtre - dans un brouillard.

Ce n'était ni le vent ni le fleuve qui m'avaient tiré de mon sommeil, mais l'approche lente de quelque chose.

Il m'a semblé que le poids de l'atmosphère avait changé, avait énormément augmenté, au point de menacer de nous écraser.

Il était incontestable que les arbres serraient à présent la cabane de beaucoup plus près, et cela sans nécessité, d'une manière désagréable. Ils s'étaient rapprochés.

Blackwoods, 2023

 

J'ai toujours aimé avoir peur en lisant, et j'aime éprouver l'atmosphère d'« inquiétante étrangeté » qui émane des images.

J'ai toujours eu cette crainte des fantômes, de l'invisible qui existe peut-être.

Dans la pénombre, mon imagination s'emballe. Et dans la forêt... Je comprends la frayeur de la jeune fille dans « Rêvé pour l'hiver » (Arthur Rimbaud) :

« Tu fermeras l’œil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs. »

La forêt, donc ; pourvoyeuse de fantaisies lugubres et fascinantes, si bien décrite par Rimbaud, Hugo... Voilà que je l'ai retrouvée chez cet auteur, Algernon Blackwood, un auteur écossais, maître de la littérature d'épouvante, en qui Lovecraft, « le maître absolu et indiscuté de l'atmosphère fantastique ».

Les titres de ses recueils de nouvelles tiennent leurs promesses : L'homme que les arbres aimaient, La Forêt pourpre. Des nouvelles dont l'étrangeté m'a profondément impressionnée : toujours, des personnages qui partent en expédition au fin fond des bois canadiens, le long de rivières, au bord des lacs, pour des motifs que l'on oublie, dont ils sont détournés par des événements plus qu'étranges... Effrayants : des buissons se rapprochent du campement pendant leur sommeil, entrecoupé de réveils angoissés sans qu'il puissent dire précisément pourquoi ; mais les Indiens natifs, eux, savent – et ils ont peur, veulent s'en retourner ; des formes évanescentes et menaçantes semblent émaner des saules ; ils ont la sensation d'une présence, voient parfois des yeux dans la nuit ; ils sentent des odeurs indescriptibles, entendent des bruits qui annoncent que, oui, un autre monde existe ; et alors les personnages basculent, et nous avec : le Wendigo, on ne le voit pas, mais on sent sa présence, son odeur, sa voix qui vous appelle... La victime est enlevée du sol, envolée au sens premier du terme, on l'entend crier dans un ciel inaccessible « Ah ! Quel vertige ! Ah ! Mes pieds, mes pieds en feu... » Les forces de la nature sont les véritables personnages de ces récits, forces ambivalentes à la fois fascinantes, supérieures et potentiellement destructrices, présentes dans les arbres, les rivières, les lacs. Des forces qui donnent naissance à des émanations, presque à des respirations surnaturelles. L'eau, les bois et les rêves.

Ce travail photographique est le fruit de réminiscences de ces textes, des échos visuels qui tentent d'évoquer ce « Passage pour un autre monde » et de rendre un modeste hommage à ces récits qui me soufflent tant d'images.

Pas un bruit, pas une vague, pas une âme.

Notre intrusion avait réveillé ces forces.

Je jetai un coup d’œil terrifié, qui me permit seulement de voir cette forme s'avancer vers nous en se balançant.

… comme derrière une vitre qui estompait leur réalité, comme une vision fantasmagorique.

… les silhouettes continuaient à surgir du sol pour s'élancer silencieusement, majestueusement vers le ciel.

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Nuit noire/ Lumières, 2017, argentique
 

capucine et les lutins.jpg

Rêves, 2016

la lune gibeuse,.jpg

Goodnight Moon, 2017

Aube 1 - panneau.jpg

AUBE, 2018

B.jpg

Le désespéré,

2018

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